Amateurs vs Professionnels sur Zwift, les raisons de la discorde
Difficile de le nier, le Weekend dernier aura donné un spectacle assez unique dans l’histoire, toute récente, du vélo virtuel. Alors que les anglo-saxons manipulent depuis maintenant plusieurs mois l’art subtil du mélange entre coureurs professionnels et amateurs pour des campagnes marketing virtuelles, la France vient de découvrir l’exercice à ses dépens ce Dimanche.
La course intitulée “La frenchy Fusion Fondo” à laquelle participaient une kyrielle de Professionnels du Tour de France : Bryan Coquard, Lilian Calmejane, Kevin Ledanois, pour ne citer que quelques noms, pointait le décor du lieu d’affrontement entre coureurs Amateurs et coureurs Professionnels.
Mais ce qui aurait dû se dérouler au départ comme une course somme toute banale et joviale a tourné à l’affrontement caractérisée. Et pour cause, alors que tout le monde s’attendait à voir les cadors du peloton Français prendre les rênes du classement, Calmejane abandonne, Ledanois finit 16ème et Coquard termine à une pénible 24ème place. Un sacrilège.
Aussitôt la course terminée, les professionnels voyant là un signe évident de tricherie, finissent par évacuer les frustrations accumulées pendant l’événement comme le souligne Lilian Calmejane ironiquement en commentaire de son activité Strava (intitulée “Plus jamais ça”) : “En fait le niveau est bien plus élevé sur les courses amateurs virtuelles que sur le Tour de France … Je m’en rends compte ça y est ”.
Une remarque qui a eu l’effet immédiat de déclencher une chaîne de réactions, pas moins de 200 commentaires enflammés avec en point d’orgue l’intervention de Warren Barguil, l’actuel champion de France (lui aussi ayant fait les frais d’une course précédente un peu trop rapide à son goût) “Du coup Lilian, t’a compris t’es un collé t’as un test de 20mn de merde et t’acceptes pas de te faire battre. Du coup je te propose d’arrêter ta carrière mdr. Franchement les mecs (…) au bout d’un moment faut quand même respecter celui qui a gagné une étape sur la Vuelta et le Tour.”
Mais que diable s’est-il passé dans la communauté cycliste Francophone pour qu’on puisse arriver à un tel niveau d’embrasement ? Personne aujourd’hui ne remet en cause la qualité sportive des coureurs du Tour. Mais comment expliquer cette différence, on peut le dire, cette petite claque infligée aux Professionnels par des coureurs de “seconde zone” (même si nombreux parmi eux sont des coureurs élites de Division Nationale).
Comment est-il possible que des coureurs qui écrasent littéralement les pédales sur les routes du Tour pour notre plus grand plaisir s’éteignent lorsqu’il s’agit de sortir les Watts sur un simple Home Trainer connecté ?
Sur ce point, tout le monde y va de sa petite hypothèse. La plus commune étant que les Home Trainer sont des appareils électroniques mal configurés et qu’il est impossible d’en déduire une quelconque puissance fiable. De l’autre, certains mettent en avant la tricherie supposée de ceux qui “mentent” sur leur poids, car, comme dans toute plateforme cycliste virtuelle, la vitesse est calculée sur le rapport Poids/Puissance. Plus le poids est faible, plus la vitesse est élevée.
Or, sur ces deux points, les cyclistes amateurs que nous avons contactés sont catégoriques. “Nous utilisons les mêmes capteurs de puissance que lorsque nous sortons sur la route”. En d’autres termes, impossible de tricher puisque la source de données est le capteur et non le Home Trainer. Concernant le poids, il est affiché publiquement sur le profil du coureur et assez facilement vérifiable.
Mais alors d’où vient cette différence ? Romain Campistrous a fini 4ème de la course en question. Romain est connu pour ses performances sur la route, c’est un coureur très correct de Division Nationale (Equipe AVC Aix). Romain fait partie de ceux qui pensent qu’il n’y a pas eu tricherie lors de cette course. Par ailleurs, il ne se targue à aucun moment d’être meilleur que Lilian Calmejane, bien au contraire. Il nous affirme même clairement que si les deux Tarnais réalisaient une sortie ensemble, il ne donnerait pas cher de sa peau dans la première bosse.
Mais alors comment arriver à cette situation rocambolesque ? Romain a une petite idée sur la question. Nous avons voulu en savoir plus en lui demandant son avis. Son raisonnement est pertinent. L’exercice physique sur Home Trainer est une activité très spécifique qui demande des qualités et des caractéristiques différentes de la route. Comparer Zwift et la route serait comme comparer le cyclisme sur Piste et la Route. Des torchons et des serviettes en quelque sorte.
Bonjour Romain, pourrais-tu nous décrire ton équipement virtuel ?
Je roule sur mon vélo de route équipé d’un Capteur de puissance Quarq (SRAM) et sur un Home Trainer B’kool Smart Pro 2 (Home Trainer connecté avec roue arriere). Mes données sur Zwift sont transmises avec mon capteur de puissance qui, je précise, est calibré à chaque activité.
Comment expliques-tu les différences constatées entre les performances d’un Lilian Calmejane et les tiennes sur la course de Dimanche ?
Premièrement sur Zwift il y a une part tactique beaucoup plus importante que sur la route (du fait que les conditions présentes sur la route sont accentuées) : Le placement dans le peloton, sur la ligne de départ, la gestion de l’aspiration ou la position en descente. Il faut savoir que le phénomène de draft (aspiration) est très important. Si vous êtes en peloton et que vous avez le malheur de prendre 10 mètres, contrairement à la route, ce sera quasiment impossible de revenir dans les roues.
A titre d’exemple, sur la course d’hier avec 1300 partants où l’on prend une bosse dès les premiers kms, si on entame la bosse après les 100 premiers on prend à coup sûr des cassures avec comme conséquence la disparition du draft.
En descente, même topo, c’est assez tactique, surtout pour des poids plumes comme le mien. Il ne faut surtout pas prendre une cassure, pour cela certains pensent qu’il faut pédaler en continu à fond. Pour ma part, je pense qu’il vaut mieux ne pas pédaler et privilégier la position Mohoric sur le cadre où l’on ira plus vite et sans efforts plutôt qu’en pédalant comme un fou.
Ensuite, il y a le côté physique. Beaucoup de personnes pensent que sur Home Trainer il faut travailler avec des intensités (Watts) plus basses que sur la route. Mes entraîneurs m’ont toujours dit le contraire, plutôt reproduire à l’identique les mêmes efforts. Et ce, même si les sensations sur la route et sur HT sont différentes. Le but est de se rapprocher un maximum des intensités route. J’ai ma théorie sur ce point.
Premièrement, concernant les sensations, je trouve que l’effort sur Home Trainer va plus ressembler à un effort sur route dans les conditions d’un profil plat. Vous avez sans doute remarqué qu’il est plus facile de sortir les Watts sur une bosse que sur le plat. Malgré la résistance connectée (qui varie selon la pente) j’ai l’impression d’être en permanence sur un effort de type plat.
On peut aussi remarquer que la différence de Watts entre Route et Home Trainer reste proportionnelle. Lorsqu’on analyse ce graphique qui compare la course d’hier à mes records durant l’année 2019 sur route, il y a une corrélation et une différence constante. Sur un sprint sur route j’atteins 1200W là où sur HT je plafonne à 800W/900W. Sur ma PMA (effort de 5’) j’ai déjà un écart qui se réduit à 30W/50W.
Deuxièmement, il doit se produire quelque chose au niveau neuro-musculaire et donc au niveau du coup de pédale qui explique la différence de sensations musculaires.
Sur HT la transmission de force du haut du corps aux membres inférieurs est moins prononcée que sur la route, du coup cela explique peut être ce “manque de force” par rapport à un effort route. Vous remarquerez sans doute que sur route il est possible d’avoir des douleurs au niveau lombaire sur des efforts intenses et longs.
Sur HT je n’ai jamais eu cette sensation de mal de dos, sans doute à cause de la baisse de sollicitation des muscles du haut du corps.
Pour finir il y a cette fameuse question du poids. Effectivement on peut changer son poids pour être plus léger mais c’est pas sans retour de manivelles. Pour un pratiquant léger comme moi c’est du suicide. On aura effectivement moins de mal à suivre dans les bosses mais sur le plat et en descente notre inertie sera réduite. Dans un peloton réduit il faudra s’employer plus, ne serait-ce que pour suivre. J’en ai fait les frais plusieurs fois où je me suis retrouvé avec des coureurs plus lourds que moi et la nécessité de produire 1W/kg de plus que les autres. Cette théorie est par exemple très bien illustrée sur les CLM (plats ou vallonnés), avec le même nombre de W/kgs je suis systématiquement plus lent que les coursiers qui sont plus lourds que moi.
Pour illustrer tout ceci on peut voir souvent que les coureurs qui sont devant dans les classements ont des W/kgs plus faibles que ceux qui ont fini derrière. On se demande comment c’est possible. Le coureur gère simplement mieux ses Watts et son abri dans les groupes. On peut voir qu’un coureur comme Pierre Almeida (un des meilleurs sur la ligue Frenchy Fusion) est souvent très bien placé dans les groupes, il gère ses efforts dans les bosses, il ne laisse jamais de cassures en revenant toujours au train.
Est-ce que tu comprends que certaines personnes étrangères à cette discipline vous prennent pour des tricheurs ?
Bien sûr. Mais il faut aussi écouter ce qu’on essaie d’expliquer et ne pas être obtu. J’ai moi même eu des doutes sur des coureurs. Mais une fois qu’on analyse les données chiffrées de manière pragmatique, on voit souvent très vite que finalement la performance est toute relative.
Qu’est-ce que tu aurais à dire aux Professionnels qui hésitent à se lancer sur les plateformes virtuelles ?
Hormis toutes ces subtilités qu’il faut comprendre et maîtriser, je pense que c’est compliqué sur les premières courses de casser la baraque. Personnellement, j’ai commencé les courses virtuelles en raison d’une fracture du poignet il y a 4 ans et depuis cette période, je fais régulièrement de l’Home Trainer, ce qui permet de ne pas trop perdre au niveau du “coup de pédale”. En pleine saison route je ne m’amuse pas non plus à faire des courses virtuelles car c’est traumatisant pour l’organisme. C’est pourquoi Zwift propose des mondes ouverts dans lesquelles on peut naviguer comme sur route et faire des entraînements cohérents et efficaces notamment en période de confinement.
C’est aussi un exutoire dans lequel on peut vite se prendre au jeu. On doit relativiser ses performances et accepter de se faire battre par des coureurs qui ont plus d’expérience sur la plateforme.
Il faut aussi penser qu’en cette période dans laquelle on est tous contraints de faire du HT, le niveau sur les courses a considérablement augmenté et les coureurs amateurs de Division Nationale sont de plus en plus présents.
Et puis, physiquement on n’est pas non plus des trompettes, il faut le dire.
- Les réactions de la communauté Zwift
- Une vidéo pastiche de Romain Feillu (ancien Pro.) sur le sujet